Salut,
Je suis nouveau sur le forum alors j'espère ne pas trop polémiquer en dehors de ce qui est admissible.
Mon cas est un peu particulier pour deux raisons. D'abord parce que je photographie beaucoup en aquarium et ensuite parce que j'ai un passif d'agronome et de naturaliste (linnéen) qui me font voir la nature et les photographes que j'ai pu guider à l'occasion sous un angle différent du culte de la beauté sauvage qui prévaut ici.
D'abord, je ne concours pas, ce que j'aime sur les photos, c'est saisir des comportements ou faire des portraits. Effectivement, je travaille en aquarium. Il faut dire que j'ai une prédilection pour les petits poissons de marigots et entre la turbidité de l'eau et les 5cm de hauteur d'eau dans lesquels ils vivent, difficile de faire autrement. Cette vidéo va vous donner une idée du milieu réel et regardez à 5mn38 ce qu'il faut pour faire des photos scientifiques et inventorier les espèces.
http://www.youtube.com/watch?v=ryMANpViXrwEn fait, ce qui est intéressant sur une photo prise dans la nature, et surtout pour un aquariophile, c'est de pouvoir en tirer des informations sur le biotope et cela a directement une utilité pour mieux élever des poissons dont certains sont d'ailleurs éteints dans la nature (et ce, dans l'indifférence générale ! Ce serait des oiseaux je sais que tout le monde hurlerait mais des poissons...). Alors, oui effectivement une photo en aquarium est "artificielle", sauf qu'elle permet de montrer des choses intéressantes. Par exemple, je vais vous montrer une photo ignoble :
http://sphotos.ak.fbcdn.net/hphotos-ak- ... 7262_n.jpgJe ne la présenterai jamais à un concours celle-là sauf que c'est l'accouplement de Betta strohi, une espèce récemment découverte et je pense que c'est la première photo du genre pour cette espèce. Effectivement, l'eau est sale (mais la nature aime ça) et il y a des algues sur les plantes. Normal, après les avoir bien nourri (avec de la nourriture vivante), j'ai réduit les changements d'eau et augmenté la température pour induire la reproduction en simulant la saison sèche qu'ils subissent dans la nature (dans des rizières de plus en plus polluées entre autres milieux).
Pour aller plus loin, les professionnels aussi (surtout ?) truquent pour montrer l'inmontrable, c'est une évidence. Sur cette vidéo de Fundulopanchax au Cameroun, tout est bidonné mais rien n'est faux (sauf que les espèces de ce genre ne regroupent pas leurs œufs mais les disséminent...)
http://www.youtube.com/watch?v=4sy3R3f_ ... r_embeddedPar contre, sans bidonner rien n'aurait pu être montré (sauf chez moi mais ils pondent dans de la mousse synthétique, pas top comme arrière-plan)
Alors je n'aurais pas l'outrecuidance de critiquer Audubon :
http://nyackboutique.fr/wp-content/uplo ... ON_owl.jpgVous savez tous comment il obtenait ses sujets pour son livre -devenu le plus cher du monde d'ailleurs récemment. Un bon coups de fusil et le sujet garde la pose
. D'ailleurs, avant chaque épisode de Skippy le kangourou, la prod allait abattre un kangourou pour, vous savez, ces scénes quand Skippy tape avec sa patte sur l'épaule de son ami le petit garçon...
Je n'aurai pas non plus l'outrecuidance de rappeler qu'encore aujourd'hui quand on veut tourner une séquence de lions chassant la gazelle en Afrique du Sud, on va voir un "rancher" (ceux qui gèrent la faune sauvage en bétail extensif comme un autre) qui va affamer quelques lionnes dans un enclos de 30ha et faire quelques shoots... de tranquillisants aux gazelles histoire que le client soit content et réduise ses coûts de production. Et après on vous sert le tout à la téloche avec un commentaire dégoulinant de pathos et c'est dans la poche.
J'ai également passé l'âge de lancer de vains pavés dans la mare (ça attire les canards qui croient qu'on leur donne à manger en plus -photos trop faciles) alors, je ne cautionne pas les aquariums studios faussement naturels. Mais je cautionne encore moins les pratiques consistant à plonger des fils reliés à de grosses piles pour photographier un poisson paralysé avec les nageoires parfaitement déployées dans un aquarium porte-feuille par exemple (clichés qui ont gagné des concours d'ailleurs) surtout que ça se voit à la contracture de la tête quand on est mis au courant du truc, mais bon...
J'arrête là si je continue à déballer vous préféreriez vous extasier sur du scrapbooking...
D'un autre côté, je crois que la clé m'a été donné par l'infographiste de la petite revue à laquelle je collabore. Pour lui, il y a des photos dénotatives et des photos connotatives, c'est capital à distinguer je pense :
-Si on place la photo nature sur le piédestal de l'art alors, la recherche de l'émotion justifie tout ce qui permet d'atteindre cette émotion. J'apprécie personnellement que le respect d'une certaine éthique conditionne ces émotions positives mais je ne suis pas dupe. Tout le monde connaît la technique du papillon un quart d'heure dans la glacière avant la photo (ne serait-ce que ça) ?
-Si on pose la photo sur le piédestal de l'information. Par exemple, si je souhaite faire un reportage sur les techniques de chasse des rapaces avec un rédac'chef qui me pousse aux fesses pour les délais et la qualité des photos (netteté et bon état du sujet principalement en général), et bien j'ai tout intérêt à aller voir un pote fauconnier pour photographier en gros plan le même jour, le serres d'une buse de Harris, d'un grand-Duc, d'un crécerelle etc. Et voir avec lui pour mettre en scène des choses très pédagogiques (les sens des rapaces, techniques de vol, structure des plumes, régime alimentaire...)
-Si je pose la photo nature sur le piédestal de la compétition, et bien que le meilleur gagne avec pour seul guide le règlement (souvent lacunaire en terme d'éthique) du concours et l'appréciation forcément injuste car subjective du jury. Mais c'est le jeu qui veut ça.
-Si je place la photo nature sur le piédestal du métier, je dois répondre aux attentes d'un client que j'accepte de servir. Ce client peut avoir des attentes particulières en désaccord avec mon éthique personnelle. Par exemple, un albatros s'est retrouvé lâché au-dessus du Vercors pour les besoins d'une pub il y a bien 20 ans maintenant et il a été "shooté" sous toutes les coutures puis abandonné là loin des mers australes. Le photographe était juste un professionnel qui a fait ce qu'on lui demandait de faire (oui, c'est inacceptable mais ça s'est fait quand même). Et j'éviterai soigneusement de parler des conditions en stage où le client (photographe amateur) veut voir du bestiau par troupeaux de 12 malgré le bruit qu'ils font, obligeant le prestataire à trouver des astuces... Problématique purement business, relation client, contenu de produit, mais qui peut mettre à mal l'éthique initiale du photographe qui essaie de vivre de sa passion...
-Si je met la photo sur le piédestal de mon plaisir personnel, et bien mes plus belles photos sont celles parfois (souvent) ratées qui me rappellent une rencontre, un bon moment, le croisement de nos regards avec l'animal, la récompense d'heures d'affût dans le froid, etc.... Tiens, par exemple, mon vieux minolta X9 a merdé en 2003 sur la plage des Hattes en Guyane (Avec toutes mes photos du braconnage opéré par les mémés Indiennes d'ailleurs). Mais quand je regarde mes 36 diapos avec des moitiés de tortues luth en train de gagner la mer ou finissant de pondre, j'ai quand même l'émotion du moment qui ressurgit. Et ça me suffit, pas la peine d'appâter pendant des jours, de poser des phéromones, des femelles en cage ou des pièges photos. Pas la peine de nous faire prendre un "loup tchèque" pour un vrai loup...
Bref, pas simple, mais je ne peux qu'encourager les discussions autour d'une éthique car le client et le "consommateur" de la photo ne sont pas toujours les mêmes et seule la pression du "consommateur" sur le "client" (rédactions, agences, galeristes, orgas de festivals, etc.) peut faire changer la donne où simplement obliger à préciser les conditions d'obtention du cliché.
Maintenant, il faut répondre à une question de base : La photo nature, c'est de l'art ou du documentaire ? Ca peut être les deux à la fois mais les tenants et les aboutissants ne sont pas les mêmes à mon très humble avis.
A+
PS : Désolé pour la longueur...