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S’il est admit que la talent n’est pas consécutif aux nombres d’années de pratique, si l’âge n’est en fait que le révélateur d’une passion ressentie pour certains plus tôt que d’autres, si enfin nous sommes plus enclins à reconnaître chez nos plus jeunes la volonté de transmettre une image pleine de « sens » il n’en demeure pas moins que cette génération a à vivre une période bien difficile.
Et quand un de ses plus talentueux représentant accepte de venir répondre à mes questions pour le forum Image & Nature, c’est une fois encore la preuve que nos jeunes doivent nous inspirer et nous guider, pour trouver la force de croire que tout est encore possible, pour eux, pour leurs enfants, de leurs laisser un monde le moins impacté possible par nos agissements.
J’ai le plaisir et le privilège d’accueillir Michel d’Oultremont, qui, à mes yeux, caractérise parfaitement le mot photographie…
Le temps est venu pour toi de te présenter aux membres du forum Michel.Salut, j’ai 29 ans, je fais de la photographie nature depuis que j’ai 15 ans et avant cela j’ai fait beaucoup d’ornithologie. J’ai donc passé plus de la moitié de ma vie avec une paire de jumelle entre les mains. J’habite au centre de la Belgique au milieu des champs. J’ai la chance de vivre de mes images depuis 6 ans maintenant. Je suis un amoureux inconditionné du sauvage et des émotions que les rencontres avec la faune me procurent.
Quand on a l’âge que tu as, qu’on a commencé à photographier la nature si tôt, comment enfant, tu imaginais tes futures captations ?En toute honnêteté je ne me projetais pas dans un futur de photographe. C’était un rêve tellement inaccessible pour moi que je me voyais plus biologiste et garder la photographie comme passion. Mais avec les années et une bonne grosse dose de volonté j’ai pu réaliser ce rêve fou et j’en suis vraiment très heureux.
La technique à l’époque a-t-elle été une difficulté que tu as facilement surmonté ?La technique c’est comme pour toute chose il faut l’assimiler, avec un peu d’entrainement cela va assez vite. La relation vitesse, ouverture, iso est assez simple à assimiler. Après je ne suis pas un grand technicien, je suis incapable de monter des pièges photos avec 36 flashs. Je préfère me défaire de la technique justement et me concentrer que sur les émotions vécues au moment de mes prises de vues.
Qu’elles étaient tes motivations et tes sources d’inspiration ?Ma principal motivation c’était de rencontrer des animaux sauvages, découvrir, partager des moments au cœur de la nature, c’était une obsession. J’ai redoublé une année à cause d’un nid de martin pêcheur que j’ai suivis durant toute la période de mes examens. Je ne connaissais pas vraiment la monde de la photo nature, je connaissais aucun nom connu, j’ai évolué un peu au hasard avant de découvrir un forum nature beneluxnaturephoto qui m’a permis de rencontrer et de parler avec plusieurs photographes comme Franck Renard, Christophe Salin ou encore Dimitri Crickillon.
Je sais pour l’avoir vécu moi-même, que quand on commence très jeune, le budget du matériel est un défi qu’il faut surmonter. Comment as-tu réussi de ton côté à budgétiser ton matériel à l’époque de tes débuts ?J’ai mis toutes mes économies dans un Eos 400D et un vieux 300 mm F4. J’ai commencé avec ce matériel photo. J’ai eu la chance de remporter à plusieurs reprises le Wild Wonders of Europe qui organisais un concours photo mensuel. Le premier prix était un appareil photo Nikon que j’ai à chaque fois revendu, cela m’a permis de changer mon matériel.
Quel regard as-tu maintenant sur tes débuts, et si tu le pouvais que changerais tu ?Je ne changerais rien, c’est grâce à cette jeunesse que je suis devenus le photographe que je suis et cela me convient bien. J’ai la chance de ne pas avoir perdu cette innocence et cette passion pour ces rencontres avec la faune.
Ta perception de la nature a-t’elle changée depuis que tu photographies, et, selon toi, faut-il aujourd’hui aborder sa pratique autrement par rapport aux bouleversements que nous vivons actuellement ?Ma perception de la nature n’a pas trop évolué, je suis toujours émerveillé tel un enfant devant une mésange huppé, un cerf, ou un renard roux. Je pense que plus que jamais les photographes de la nature doivent être très respectueux, ne pas déranger, ne pas vouloir LA photo à tout prix. Ce sont les bases, mais elles sont trop souvent dépassées. Il est temps de plus respecter, de mieux comprendre et de mieux protéger.
À ce sujet, La Belgique est –elle « une terre » de photographie différente de la France ?La France a l’avantage d’avoir énormément de milieux différents, montagne, plaines, forêt, côtes. On y trouve tout un tas d’espèces et de milieux fantastique. La législation y est plus simple aussi, ici en Belgique on ne peut pas quitter les chemins forestiers sans autorisation. Il y a aussi une très forte pression démographique ici en Belgique. Mais bon, il y a aussi de beaux endroits et de belles choses à voir.
Je sais que tu parcours le monde à la recherche d’espèces et d’ambiances à photographier. Quels sont tes critères avant de te décider et de planifier un voyage ?Quand je voyage, je choisi en priorité l’environnement. Dans de rare occasion j’y vais pour une espèce précise mais c’est plus les ambiances et les biotopes que je cherche.
Si tu devais choisir ou décider d’une destination de rêve pour toi aujourd’hui, qu’elle serait elle et pourquoi ?C’est une question difficile car il y a vraiment des tas de belles choses à voir et à découvrir. Des lieux qui ne sont pas souvent visités. Que ce soit à coté de chez sois où un peu plus loin la beauté du sauvage est partout.
Certains photographes de nature organisent ou planifient leurs voyages en fonction des concours internationaux. Que penses tu de cette approche ?Que c’est un peu étonnant. Un concours photo c’est un jeu, c’est très aléatoire, car les choix du jury dépendent de pleins de choses et pourraient changer d’un jour à l’autre. Alors décider de partir voyager pour espérer gagner un concours c’est vraiment dénuer de sens pour moi.
Au sujet de concours justement. Tu es primé à multiples reprises dans plusieurs concours prestigieux. Que représentent les concours pour toi ?Pour moi c’est un jeu, c’est chouette de gagner c’est sur mais c’est pas grave de ne pas être sélectionner.
Selon toi, peut on aujourd’hui, si on se destine à une carrière professionnelle en image de nature passer outre le fait de concourir pour être capable de vivre de son métier de photographe ?Bien entendu un concours photo est une mise en avant de son travail quand on le remporte. C’est un fait, mais ce n’est pas une obligation pour pouvoir vivre de ses images.
Si on se pose quelques minutes sur les lauréats d’année en année on se rend compte que les noms sont souvent les mêmes. Es ce à dire que les jurys « pensent » la photographie de la même manière et que la sensibilité est limitée à une forme de « mode » suivie par le plus grand nombre ? Sachant que tu es aujourd’hui souvent convié à juger à travers différends concours il me semble que ta réponse revêt une importance et une crédibilité particulière.Souvent ont fait la sélection avec ce que l’on a. On ne peut pas inventer d’images et souvent c’est le même style d’images qui sortent en tête des sélections. C’est une réalité, tout le monde se recopie ou copie des styles existant. C’est dommage car il y a un grand manque de créativité au final.
Beaucoup de jeunes et moins jeunes se prête aux concours et espèrent un prix. Beaucoup de participants mais peu d'élus. N'est ce pas là une source de déception qui pourrait finalement "stopper, frustrer" des talents qui sans les concours auraient poursuivi normalement leurs apprentissages.Un concours photo est un jeu, ni plus, ni moins. Parfois on gagne, souvent on perd. Ça fait partie des règles et il faut l’accepter. Et puis, remporter un concours photo ne change pas radicalement une vie, il faut rester humble, c’est amusant de gagner mais ça en reste là.
Parlons maintenant de ton métier de photographe de nature. Michel d'Oultremont vit il correctement de sa production d'images et quel support t'apporte le plus de revenus ? La presse spécialisée et les articles que tu y déclines, la vente de tirages, ou la sponsorisation ?J’ai la chance d’en vivre. Juste cette phrase veut dire beaucoup, vivre de sa passion (quel qu'elle soit) est une chance immense.
Comment est née ta volonté de "passer" PRO ?Je ne me suis pas dit du jour au lendemain je serais photographe animalier et j’en virerais, loin de ça. Cette voie m’a été ouverte au fur et à mesure des années, des projets et l’idée à germé petit à petit dans ma tête. Pourquoi pas, pourquoi pas essayer quelques années et on verra. En sortant de mes études je me suis lancé, je me suis dit à moi même : « tu fais tout pour que ça fonctionne pendant 3 ans, ensuite tu regardes et si c’est jouable tu continues ». Cela fait 6 ans maintenant et l’aventure ne fais que commencer
Les obligations professionnelles que tu vis aujourd'hui annulent t'elles tes aspirations esthétiques ?Pas du tout, l’avantage d’être complètement libre, Freelance, indépendant, on est pas beaucoup à avoir ce luxe de travail. J’ai la chance de travailler sur les projets que je veux, quand je veux et avec qui je veux. C’est une chance immense qui me donne l’impression de ne jamais travailler au final.
Être PRO aujourd'hui c'est faire beaucoup de concessions, de compromis ? Je pense en particulier en terme d'édition, ou as tu encore toute la liberté de concevoir pleinement ta vision de diffusion de ton image ?Pour la diffusion des images c’est moi qui choisis tout, j’édite mes propres livres, je choisis les images que je veux montrer dans les magasine ou dans les livres, je choisis avec qui je veux travailler où non. Je suis très conscient que c’est un luxe de travail incroyable et j’y tiens énormément. Ma liberté me permet de rester, je pense, le plus créatif possible et me permet surtout de rester énormément de temps dans la nature, ce qui est la clef de belles rencontres avec la faune sauvage.
La presse spécialisée répond t'elle à l'appel des vocations professionnelles ? Est elle à même aujourd'hui d'être à l'origine de l'envie de passer la frontière en diffusant des articles et des reportages quand on sait le peu de revenus que cela génère pour les auteurs photographes ?Justement non, la presse aujourd’hui va mal, elle est de moins en moins diffusée, et pour la plus part ne paye plus grand chose. Il faut trouver donc d’autres moyens de diffusion pour arriver à vivre de cette passion.
Finalement, très peu de photographes de nature vivent de leur unique production d'images. Il faut pour le, plus grand nombre, céder à la pratique de photographie événementielle, de mariage, de reportage. Que manque t'il selon toi pour que la photographie de nature soit plus reconnue au point qu'elle se suffise à elle même ?C’est une bonne question dont je n’ai pas la réponse.
Revenons au matériel. Toujours fidèle à la visée reflex ou as tu franchi le pas ? je suppose que Canon doit t'avoir proposé d'évoluer au niveau du boîtier ?Oui en effet, j’ai la chance d’être ambassadeur pour Canon Europe, ils me font tester pleins de nouveautés dont les derniers mirrorless. Il faut avouer que ce sont des outils incroyables, ils ne font plus le moindre bruit, et grâce à cela je deviens un fantôme en forêt. Les cerfs ne m’entendent plus et je limite grandement le dérangement, c’est un réel bonheur !
Quand on lit ce que pensait Baudelaire de la photographie, je cite "L'imagination est la reine des facultés, et la photographie ne demande aucune imagination. Une œuvre d'art exprime le monde intérieur de l'artiste. C'est son esprit qui trie et arbitre souverainement. Or la photo est documentaire par nature. Elle apporte des informations. Elle peut servir les arts, mais en mineur. Elle atteste de détails, d'indices, mais ne peut pas exprimer un dessein, une idée ni un rêve. Elle n'est que le résidu d'un motif." Qu'en penses tu ?
On documente certes car tout est là, tout est devant nous. Mais c’est en choisissant ce que l’on veut montrer, un détail, une lumière, un mouvement que l’on créer quelque chose d’unique et d’éphémère. Mais c’est ça qui est beau, c’est de se dire que cette image a été vécue et que cette scène à existé, c’est pour cela que je ne retouche pas mes images, pour laisser cette exactitude de la scène.
Passons maintenant à tes photographies, à ta vision de cette nature que tu valorises si bien à mon sens.
Si je reprend comme je le fais souvent, tes images, le naturalisme n'est pas ta priorité, et c'est plutôt l'esthétisme que tu recherche dans tes compositions.Oui c’est vrais, je suis en recherche constante de l’esthétisme. Quand je veux voir des espèces rares c’est plus par envie naturaliste, mais mes envies photographique dépendent souvent de la lumière, absente ou non mais c’est elle qui guide mes images. C’est la lumière qui met en valeur mes images et non les animaux. D’une mésange bleue à une panthère des neiges peut importe au final, tant que la lumière et que le moment est beau cela me convient amplement.
Si demain il te fallait choisir, il te fallait abandonner l'esthétisme dans l'image, par quoi remplacerais tu les environnements présents dans tes images ?Je pense que j’abandonnerais mon appareil photo tout simplement, je prendrais un crayon et un bloc note et je décrirais ce que je vois. Ce sera moins encombrant et moins lourd que mon sac photo. La photo sans l’esthétisme ça n’a pas de sens pour moi. C’est comme me dire demain tu iras dans la nature avec juste un objectif sans boitier, bah je le laisserais sur mon bureau et je partirais avec mes jumelles voir de belles scènes de vie que je garderais précieusement pour moi.
La lumière est à n'en pas douter l'élément clé de tes captations. C'est finalement lorsque celle-ci influence faiblement les détails que tu participe le plus à en faire deviner les finalités ?Oui c’est exactement ça, la finesse d’un rayon de lumière, l’instant éphémère d’un lever ou d’un coucher de soleil, la neige qui devient immaculé quand le soleil se cache derrière un nuage, ce sont toutes ces nuances qui créer mes images.
Penses tu que les jeunes photographes que tu inspires aujourd'hui, peuvent facilement "comprendre" ton cheminement de création et suivre ainsi ton exemple ?Je pense que chacun doit se créer son univers, s’inspirer de plusieurs milieu artistique pour découvrir sa voie et s’y plonger pleinement.
Si je parle des jeunes c'est justement par ce qu'ils sont nombreux à prendre tes photographies en exemples. Beaucoup de mes stagiaires s'imaginent en Michel d'Oultremont, et me demande des conseils pour photographier comme toi.
Je répond inlassablement qu'il faut cultiver ses différences pour un jour finir par atteindre ses rêves. Mais qu'en est-il de toi. As tu suivi tes convictions, ta sensibilité sans être tenté de "copier" un peu les autres à tes débuts ?Je pense que nous sommes de toutes manières influencés, que ce soit par d’autres photographes par une aquarelle chez nos grands-parents ou par un tableau chez notre oncle, où encore la sculpture d’un musée ou un morceau de musique favoris, nous sommes influencés mais sans s’en rendre compte et ça c’est magique. Je photographie beaucoup au feeling, sans me poser de question et de temps en temps ça fonctionne bien. Je pense qu’il ne faut pas trop se prendre la tête, juste faire des images que l’on aime faire.
Parlons maintenant de tes destinations. De celles qui t'ont le plus "chamboulé et qui encore aujourd'hui peuplent tes rêves ?Ce sont les lumières qui me font rêver, les nuances de couleurs subtiles vécues.
Penses tu que tes images puissent influencer les comportements, qu'une image si belle soit-elle peut sauver même un peu cette nature qui souffre tant ? En résumant, une image de nature peut-elle vraiment sauver le monde par la beauté qu'elle invite à faire découvrir ?Je n’arrive pas à photographier la rudesse de la réalité, la violence d’un éléphant sans défense qui baigne dans son sang, la main coupé d’un gorille sur un marché du bout du monde, ce sont des images rudes qui me fendent le coeur et que je ne pourrais pas réaliser. Je pense qu’elles servent bien plus la cause que les images belles. Mais vu que je ne sais pas faire ce genre d’image par manque de force je me contente d’essayer de faire les images les plus esthétiques possibles pour essayer de protéger par le beau.
Parlons maintenant de cette période si particulière de crise sanitaire. Ta pratique photographique comme tous les autres photographes de nature est modifiée et souvent compromise. Comment vis tu cette crise ?Je la vie très bien, je fais beaucoup plus d’images proche de chez moi et ça fais un bien fou. Je suis les petits moineaux de mon village, une chouette chevêche dans le jardin de ma soeur, ou encore les grèbes d’un marais à quelques kilomètres de la maison.
Pour finir cet entretien sur une note de confiance en l’avenir, parles nous de tes projets pour les mois qui viennent, voir les années. Livre, voyages, reportages, Expositions…Pour le moment il n’y a pas grand-chose de prévu, comme toujours je fais au feeling. Je fais beaucoup d’images mais je n’ai pas encore le fil conducteur. Du coup on verra ça plus tard, je retourne sur le terrain trouver le beau.
J’ai toujours, depuis de nombreuses années, la conviction que notre futur est indéfectiblement lié à nos actions du quotidien, nos compétences, nos expériences du présent. En parcourant les photographies de Michel, j’ai le sentiment que sa génération marquera par sa créativité une étape cruciale dans la prise de conscience d’un monde à préserver, voir à sauver.
Mais au-delà de cette conviction, c’est l’espoir que je veux mettre en évidence. L’espoir qui consiste à toujours entendre la musique douce et agréable de l’impétuosité de la jeunesse. Sa faculté à croire malgré les embûches que le meilleur reste à vivre. Que nous nous devons de veiller à maintenir la transmission par le respect, par l’acceptabilité des différences. Oui les jeunes sont sources de motivations, d’élévation, mais aussi, avec leurs talents, il préfigurent ce que nous rêvions de devenir…
Encore bravo Michel et surtout merci d’avoir consenti à cet échange, qui je l’espère, fera le bonheur de nombreux membres du forum.
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