Fichier(s) joint(s):
regardperdu.jpg [ 70.06 Kio | Vu 19 fois ]
Le regard perdu, de Baptiste Morizot. Actes Sud
https://librairielamandragore.com/livre/24785651-le-regard-perdu-baptiste-morizot-actes-sud«
Il y a le minimum syndical de la décence humaine dans les peintures pariétales »
Dans une introduction assez poignante, Baptiste Morizot commence par évoquer ce qui a motivé l’écriture de ce livre sur un sujet qui semble si éloigné des préoccupations d’un monde qui court à sa perte : c’est l’importance pour nous, « les modernes », de retrouver notre présence au monde, ou comme il le rappelle en conclusion : de réexercer ce regard perdu sur le vivant dans nos vies contemporaines.
C’est une expérience visuelle troublante, à l’issue d’un long séjour à pister les animaux dans le parc du Yellowstone, qui est à l’origine de la principale hypothèse du livre : les premiers hommes à avoir dessiné des animaux sur des parois les ont littéralement vu dans la pierre, ou plus précisément, ont vu leur « jizz », un terme couramment employé en ornithologie pour décrire à la fois la qualité propre d’un oiseau, son allure, et la capacité de l’observateur à le reconnaitre instantanément sur le terrain, sans être obligé de le voir en détail.
Un passage du livre est d’ailleurs particulièrement intéressant pour nous en tant que photographes animaliers : nous avons tous fait l’expérience d’avoir cru voir des animaux un peu partout même où ils ne sont pas lors de nos longues séances d’affûts : ici la forme d’une pierre, la une souche qui parait plus dense que les feuilles autour… Notre œil a d’ailleurs tendance à reconstituer intégralement l’animal à partir de ce maigre fragment (l’explication en serait que dans la longue histoire de l’évolution, il était avantageux que nous sachions identifier rapidement un prédateur, par exemple un tigre dans les herbes).
L’ambition de Baptiste Morizot ici est à la fois ambitieuse et modeste : il ne cherche pas à comprendre les significations des peintures rupestres, mais uniquement ce qui a pu déclencher les toutes premières « esquisses » sur la roche. Et il suppose que si pour nous, ce type de vision n’est rationnellement vue que comme une illusion d’optique, elle devait être perçue bien différemment à l’époque, avoir une certaine « réalité » qui a incité l’acte de figurer.
Il revient d’ailleurs longuement sur le concept de « création », soulignant qu’elles ne sortent pas uniquement de notre conscience, mais qu’elles ont une réalité relationnelle.
Le livre est parfois assez ardu, de nombreux concepts développés m’étaient inconnus (sur la psychologie de l’attention et de la perception), toutefois, la simple lecture de la préface de Boris Valentin - qui résume bien en quelques mots toutes les pistes explorées - est une bonne incitation à suivre les traces de ces étranges animaux : les Hommes du paléolithique.